Pierre Maxime Nicolas

Monsieur Pierre-Maxime Nicolas nous accueille dans son logement qui laisse transpercer les rayons du soleil de cette fin de matinée. 

« J’ai accepté de vous rencontrer parce que je comprends les motivations qui entourent cette initiative de portraits. Une communauté ne peut survivre sans la participation de ses membres. Participer, c’est collaborer à la mise en place ainsi qu’à la durabilité d’un projet. La mobilisation, les communautés, les projets, la manière dont on vit, voilà ce qui caractérise pour moi le communautaire, au sens large. Longueuil, où je vis, c’est une communauté. Étant donné que j’œuvre dans le domaine des sciences humaines, je comprends cette réalité. Je comprends que SOLIDES tente se mettre à niveau pour essayer de comprendre la réalité de chaque personne qui participe à son grand projet ».

 

Et en ce qui a trait aux grands projets, monsieur Nicolas s’y connaît!

« Je suis né en Haïti, à Dame-Marie, une magnifique ville côtière située dans le département de la Grand’Anse. En 1999, j’ai eu la chance d’obtenir une bourse d’excellence de l’Organisation des États Américains (OEA) pour faire une maîtrise en communication publique, à l’Université Laval. Dès mon arrivée au Canada cette année-là, je suis allé m’installer dans la ville de Québec où j’ai élu domicile pendant 12 ans ». 

Après avoir obtenu ma maîtrise, je suis retourné en Haïti pour y travailler comme professeur au département des communications de la faculté des sciences humaines de l’Université d’État d’Haïti. La demande de résidence permanente que j’avais présentée fût acceptée alors que j’étais en sol haïtien. 

Je suis alors revenu au Québec. J’ai rapidement entamé des études en administration publique à l’École nationale d’administration publique (ENAP). Une fois ces études complétées, je suis retourné travailler en Haïti.  J’y ai passé quelques années durant lesquelles j’ai continué à enseigner à l’université. Également, je travaillais dans différents programmes d’aide au développement des organisations internationales. 

Jusqu’au 12 janvier 2010.

J’ai vécu le tremblement de terre. J’étais là, au cœur des choses, dans le cadre d’un programme d’appui technique au gouvernement haïtien financé par le gouvernement canadien où j’occupais un poste au ministère de la Condition féminine comme expert en gestion de l’information. Cette journée-là, je travaillais sur un plan de formations ainsi qu’à des activités pour la semaine suivante dans les locaux du ministère de la Condition féminine. Par ailleurs, j’avais un rendez-vous avec une étudiante qui m’avait appelé vers 16 heures pour me dire qu’elle était arrivée sur les lieux de notre rencontre, au restaurant Paradise situé sur les places publiques du Champ de Mars, pas très loin des locaux du ministère. 

Vers 16 h 20, je suis allé à sa rencontre. Quelques minutes plus tard, le goudougoudou… ». 

Le Goudougoudou est cette onomatopée adoptée par le peuple haïtien en référence au bruit des secousses sismiques de cette tragédie survenue à 16 h 53 à Port-au-Prince, la capitale du pays. La terre a tremblé durant 35 secondes. Laissant le pays endeuillé de 280 000 morts, 300 000 blessés et 1,3 million de personnes qui se sont retrouvées sans abri. 

« Heureusement que le local dans lequel j’étais n’a pas cédé. C’est lorsque je suis sorti à l’extérieur que j’ai réalisé l’ampleur de ce qui venait de se produire. D’où j’étais, je pouvais voir le Palais national qui s’était effondré. Tous les gros bâtiments, comme les locaux du ministère de la Condition féminine. Tous effondrés. C’est sûr que j’ai été protégé…À la fin du mois, je suis revenu au Québec à bord du dernier vol de rapatriement des citoyens canadiens qui étaient là-bas. 

Quatre mois plus tard, je suis retourné en Haïti.  Je suis allé faire un inventaire pour l’Entraide universitaire mondiale du Canada (EUMC) dans le but d’aider les universités à se relever de cette tragédie. L’EUMC m’a ensuite offert un poste de coordonnateur régional d’un consortium composé, notamment, du Centre d’étude et de coopération internationale (CECI) et de la Fondation Paul-Gérin Lajoie. L’objectif était de soutenir le secteur de la formation professionnelle.

Par la suite, je suis allé dans le sud-est d’Haïti pour y travailler comme responsable des coopérations. J’y suis resté deux ans. J’ai également travaillé pour la Banque mondiale, dans un programme d’éducation pour tous. Mon chemin s’est ensuite dirigé vers l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), dans le cadre d’un programme d’appui à la primature pour renforcer le programme de modernisation de l’administration publique et de rénovation de l’administration haïtienne. Un bon programme, qui n’a malheureusement pas donné les résultats escomptés. »

Lors de son séjour suivant en Haïti, quelque temps plus tard, Monsieur Nicolas y demeurera sept ans, sans revenir au Québec. Il travaillera entre autres avec l’USAID, dans un projet pour soutenir les municipalités et renforcer les capacités des acteurs locaux en vue d’améliorer la gouvernance des administrations municipales du pays. 

« Nous avons mis en place des plans de développement locaux dans les communautés, des outils de gestion pour améliorer les relations des administrations locales avec les citoyens. Mais très vite, nous avons compris que les structures en place ne pourraient pas à elles seules contribuer aux changements. C’est comme si les communautés se font imposer la volonté centrale sans compréhension des besoins locaux, des réalités des sections rurales et des quartiers. Ce sont pourtant les communautés qui ont l’expertise de leurs réalités. Donc nous les avons accompagnés, nous avons fait des choses. Le défi, c’est de garantir la durabilité des changements à la suite des interventions organisationnelles.

Pour que les communautés locales en viennent à identifier les richesses de leur territoire et à trouver les moyens pour développer leur économie locale, il faut, d’après moi, miser sur la sensibilisation, la formation et l’accompagnement. Avec ces méthodes, les acteurs locaux doivent être capables de développer une autonomie dans la gestion des choses publiques et communautaires pour continuer avec le changement. Car après la fermeture du programme ou le départ du bailleur, les gens n’arrivent pas à continuer. Malgré leur volonté, ils ont besoin de l’encouragement et de l’encadrement au niveau national pour assurer le suivi des projets qu’ils ont mis en œuvre.

Je suis revenu au Québec mais pas seul cette fois-ci »

Monsieur Nicolas est revenu d’Haïti en 2019, avec son épouse et ses enfants. Maintenant père de trois filles (deux qu’il a eues avec sa femme actuelle et une adolescente née d’une précédente union alors qu’il vivait à Québec ) son logement de Longueuil semble tout adapté aux besoins de sa famille.  

« Je cherchais un logement pour permettre à mes enfants d’évoluer dans un environnement paisible. J’ai vu la pancarte « à louer » devant cette maison rouge et j’ai contacté SOLIDES. C’est un environnement calme où la circulation n’est pas dense. Je ne m’attendais pas à trouver un logement aussi bien placé et accessible par métro et autobus ». 

Il n’est pas retourné en Haïti depuis l’assassinat de son président, Jovenel Moise, en juillet 2021. 

« Avec les bouleversements socio-politiques actuels, ce n’est pas évident. Le peuple haïtien ne mérite pas de subir tout ça. Je compte rester au Québec plus longtemps cette fois-ci, quitte à continuer d’enseigner à distance. La raison pour laquelle je n’enseigne pas encore ici au Québec, c’est parce que j’étais toujours là-bas. 

Vous savez, je suis de nature conservatrice traditionnelle. Je n’aime pas changer les choses qui fonctionnent ». 

Mais vous aimez certainement les faire bouger à travers vos projets inspirants. Les communautés ont besoin de vos connaissances, de votre vision et de vos espoirs, monsieur Nicolas. 

Kinbé là ! 

TEXTE ET PHOTOS PAR KESNAMELLY NEFF

Naomie Marleau