Arthur Doucet

Né à Bathurst au Nouveau-Brunswick en 1930, Arthur Doucet est un fier acadien qui célèbre ces jours-ci ses 92 ans. Droit comme un piquet, il nous accorde une entrevue dans nos bureaux pour partager sa longue et tumultueuse histoire. 




«Je suis entré dans la marine marchande à 14 ans parce que j’étais trop jeune pour l’armée. Ça c’était en 1944. Mon petit ami qui était plus jeune que moi était refusé dans toutes les jobs et devait aller à l’école. Quand on s’est présenté pour travailler dans la marine marchande je lui disais quossé dire. Ils nous ont dit qu’il manquait de monde parce que tout le monde qui était en âge de travailler se faisait drafter dans l’armée et la marine. Dans l’armée ils ne prenaient pas les vieux de plus de 45 ans. Pour travailler dans la marine marchande, il fallait avoir 16 ans. Il y avait aussi beaucoup de plus que 45 ans. Moi et mon ami Clifford on n'a rien dit sur notre âge et personne n'a posé de question et ils nous ont pris.




Moi je ne savais pas ce que je faisais. À l’assurance chômage, ils m’avaient dit que c’était pour travailler dans les bateaux. Je pensais que c’était dans la Baie de Fundy. Au bureau il était écrit « one oiler, one this, one that ». Tu sais les choses qu’il y a à faire sur un bateau. Moi, je connaissais pas ces jobs là. Un gars qui débarquait d’un bateau nous a dit « vous voulez rester ensemble? Appliquer pour “messmen”. C'est ceux qui servent à manger». Moi je faisais un service et Clifford faisait l’autre. de 1944 à 1948.




L’histoire de la marine marchande canadienne en temps de guerre est peu connue au Canada. Ces navires ravitaillaient l'Europe et l’Afrique en toutes sortes de biens. Ils étaient continuellement attaqués par la marine allemande avec l’objectif de limiter les ressources, la nourriture, le carburant qui soutenaient les populations et les forces armées des pays assiégés.

«Quand j’ai quitté la marine je suis allé au Nouveau-Brunswick pendant 5 ou 6 mois, mais il n’y avait pas beaucoup d’ouvrage. Mes sœurs étaient venues au QC en 1949 et je suis parti les rejoindre»

C’est à Montréal que j’ai rencontré ma première femme. On étais des "gypsys''. On se promenais partout, de Bathurst à Saint-John, Montréal puis on continue et on continue jusqu’à ce qu’on soit à Vancouver en 1953. J’ai travaillé pour toutes sortes de drôles de jobs.

Dans les années ‘50 j’ai voulu m’engager dans la marine pour la guerre de Corée mais ça n’a pas fonctionné. Mon numéro de service, il y a toujours une lettre au bout, tu vois là, finissait avec un E. Ça veut dire que j’étais rattaché à la base d’Esquimalt. Mais quand j’étais dans la marine, pour vrai j’étais basé à Halifax. J’ai fait corriger mes papiers pour les remplacer par un H. Mais quand j’ai voulu aller en Corée, ils m’ont dit que j’étais pas à la bonne place, que c’est le monde basé sur la côte ouest à Esquimalt qui y allait. Quand j’étais sur un bateau je ne savais jamais trop où j’étais dans le monde, j’avais pas d’éducation.»

Monsieur Doucet fouille dans ses papiers et montre une photo et une liste de noms de bateaux : Hochelaga, Cornwallis, Donnacona… Puis on recommence à parler mais maintenant c’est en anglais.

I was discharged in February 1957 and I stayed in Halifax for a while. But not much happening down there. I stayed with my brother in Saint-John but I couldn’t find a job. So, again, I went to Montreal. Where the rest of the family was. I stood on the corner of Atwater and Ste-Catherine and looked at both sides. When I looked at Westmount I didn't see a lot of businesses. But in the other direction, down on Atwater there were garages everywhere. I entered one of them. Toledo motors. Le frère de Ken, le gérant, était aussi dans la marine. On s’est parlé et l’entraide entre les marins a aidé. Le lendemain matin je commençais une nouvelle job.

J’étais dans le département des chars neufs, puis je faisais du service, etc. Le gars, Smitty, qui conduisait le towing leur donnait du trouble parce qu’il brûlait tout le temps la clutch et il ne parlait pas anglais. Après 3-4 mois il m’a donné la job d’aller chercher les chars dans le port avec le towing et de les emmener à Verdun, sur la rue Hickson. Une journée j’en ai emmené 48. J’ai tout le temps travaillé dans les chars. Sauf mécanicien. Je n’aimais pas ça. J’ai quelque chose avec mes mains. J’aimes pas ça qu’elles soient sales. J’étais tout le temps en train de les laver. J’ai travaillé comme ça jusqu’à 75 ans.

Avec ma deuxième femme j’ai déménagé sur la rue Provost à Châteauguay Station dans les années ‘60. Le gars voulait 22 000 $. Je lui ai donné 20 000 $. C’est là que mes enfants ont grandi. Ah oui! j’ai eu cinq enfants et plusieurs petits enfants.

Ensuite je travaillais pour Maisland. Je conduisais des camions jusqu'aux États-Unis. Mais la compagnie a fermé dans les années 70.»

  • Vous le connaissiez, Sam Maisland? 

  • Ben oui, il m'a mis dehors 4 ou 5 fois.

  • Et il vous réengageait?

  • Il me blâmait tout le temps pour des affaires comme un flat mal réparé par un mécanicien, puis il me mettait dehors. Et il me réeangageait après.

«Il m’aimait pas parce que j’aime pas le sport. Il m’a demandé d’aller travailler gratuitement pour servir les joueurs du Canadien dans son chalet à Saint-Michel-des-Saints. Il me disait “t’es pas payé, c’est un privilège de rencontrer les joueurs du Canadien”. Moi j’ai dit “non parce que ça m’intéresse pas le sport”.

J’ai vendu la maison, ma femme a eu son 50% et avec mon argent j’ai acheté un Mercury et je suis parti faire un p’tit tour en Californie pour voir ma famille. Tous ceux qui étaient à Vancouver ont déménagé à San Bernardino. Moi, j’aime la musique country, j’ai mon "keyboard''… J'ai été à toutes les places (Grand Ole Opry, etc.) J’ai même rencontré Debby Reynolds.

Quand je suis revenu “icitte”, j’ai vendu mon Mercury, j’ai acheté un pick-up parce que j’avais toujours planifié aller en Floride en hiver et vivre ici en été. En Floride j’avais une belle roulotte en “tabarnouche”, une 43 pieds. J’ai fait ça pendant 5 ou 6 ans. Des fois on allait au Texas. Mais quand tu vieillis, l'assurance monte et monte et c’était rendu bien trop cher. 

J’ai demeuré 2 ou 3 ans à Ville Lasalle puis je suis venu ici à Vetville. Dans le temps c’était juste pour les vétérans. Avec les autres vétérans, on parlait pas tant de ce qui s’est passé pendant la guerre. Personne ne veut parler de ce temps-là. Comme quand mon bateau a reçu une torpille, ce n’est pas quelque chose que je veux parler. Notre bateau c’était un tanker, on transportait de la gasoline pour les avions, de l’huile, du diesel. On emmenait ça en Europe et en Afrique. Les sous-marins se tenaient dans le coin de Cap Chat, ils se tenaient sur le fond et le soir ils montaient et “canonnaient” les bateaux. Quand on s’est fait tirer dessus, une chance,  on venait de vider nos tanks.

J’habite à Vetville depuis 20 ans. Les appartements sont juste assez gros pour une personne seule. Quand je suis arrivé il y avait beaucoup de logements vides parce que les vétérans commençaient à mourir. Depuis que SOLIDES a acheté, c'est toutes sortes de gens qui vivent ici, des jeunes des vieux. Surtout des personnes seules.». 

À la fin de notre entretien, monsieur Doucet laisse paraître un peu d’amertume. «The government treated us, the merchant navy, like dirt. We’re the ones who brought the food, the medicine, all that stuff. We risked our lives and got nothing in return».

Naomie Marleau