Nancy Myles

« J’étais au Cégep et j’avais l’impression que j’étais tout le temps suivie. Dans le métro, dans l’autobus, dans les corridors, j'avais tout le temps peur. »

Nous sommes à la table de Nancy. Elle a eu la gentillesse de m’inviter à souper pour notre entretien. Son chat, Mitaine, nous observe depuis le sofa : « sa sœur Misty est décédée en décembre dernier…», m'a-t-elle dit avec tristesse. L’appartement est riche en décorations, des peintures, surtout. J’apprendrai plus tard l’importance qu’elles ont dans la vie de Nancy.

« Pour moi, ce n’était pas de la maladie, la peur était vraiment présente. Le psychologue de l’école se doutait qu’il se passait quelque chose de spécial. Il croyait que c’était soit une psychose, soit de la schizophrénie. Finalement, c’était une psychose. Je me suis ramassée à l'hôpital de septembre 94 à janvier 95. Et je ne savais pas ce que je faisais là-bas. Je ne comprenais pas pourquoi on ne me laissait pas sortir. En fait, au début, je voyais le démon dans le visage des infirmiers et des docteurs. J’étais dans un état de terreur constant. Mais ensuite, je ne comprenais pas pourquoi on me gardait. Peut-être qu’on me l’expliquait mais que je n’écoutais pas. J’ai cru comprendre que je ne parlais pas. Que j’écrivais. Et le mot que j’écrivais le plus était “divorce” en grosse lettre. »

Le visage de Nancy s'assombrit. Ce n’est clairement pas facile pour elle de parler de ces souvenirs.

« Le divorce de mes parents a eu lieu quand j’avais huit ans. Et je me suis toujours sentie coupable de leur séparation. Comme beaucoup d’enfants. Je voyais mon père aux deux semaines, c’était très difficile. J’étais fille à papa, puis lentement, il est devenu un étranger. Il avait énormément de frustration et de colère par rapport au divorce. Puis plus tard, mon père s’est fait opérer et j’ai eu peur de le perdre. Ajoute la pression du Cégep à ça et c’est tout ça qui a mené à ma psychose. J’avais un copain, à cette époque. Nous étions 4 couples d’ami.e.s proches. J’étais la plus jeune. Mais il n’a pas pu supporter l’épisode de la psychose. Il m’a quitté le jour où je sortais de l'hôpital. Ça m’a plongé dans une profonde dépression. Je perdais mon copain, mais je perdais aussi mon réseau d’ami.e.s…Tu sais moi je croyais qu'après mes études, je ferais comme certaines de mes amies, que j’aurais des enfants. Je voulais tellement avoir deux filles, comme moi et ma soeur.

J’ai essayé de retourner étudier. Mais tout était difficile. Avoir à reprendre l’autobus, la foule, les gens, le bruit…Et à l’école, lire, c’était la fin du monde ; apprendre, presqu’impossible. J’étais incapable de continuer, j’ai dû arrêter. »

La confiance de Nancy me touche énormément. Je me sens privilégié de recevoir ces mots intimes, ces souvenirs douloureux.

« Être sur l’aide sociale, quand on a l’âge de travailler, c’est tellement difficile. J’habitais avec ma mère, je ne pouvais pas me payer de logement. Quelques années plus tard, j’ai foncé et j’ai travaillé comme préposée aux bénéficiaires. C’était très enrichissant comme métier. Je l’ai fait pendant trois ans. Mais c’était également un milieu très difficile. Les plus anciennes me laissaient tout le travail qu’elles ne voulaient pas faire. J’ai rechuté. J’ai dû arrêter. Je me rappelle que mon patron m’avait fait une belle lettre de recommandation. Ensuite, j’ai travaillé pendant un moment avec mon esthéticienne. Et après ça, ça été du bénévolat dans plusieurs organismes. Chez Re-Nou-vie, c’était une place de femmes, des mères monoparentales, puis ensuite à la Rencontre Châteauguoise, qui est une banque alimentaire, et à l’époque ils avaient une salle à manger. Je ramassais la piasse que ça coûtait pour manger, je servais les repas. Un moment donné, ils ont entré l’ordinateur. Et moi je ne connaissais rien là-dedans, mais j’ai appris et ils m’ont nommé bénévole du mois parce que j’avais réussi à apprendre, à passer par-dessus ma peur.

À 35 ans, ma mère est décédée. J’habitais toujours avec elle. Ça été tellement difficile. Je perdais mon ancrage. Ma sœur, qui était dans un moment difficile aussi de sa vie, est venue habiter avec moi. Ça a duré quelques années, et à 39 ans, j’ai finalement décidé de me trouver mon propre logement. J’avais deux chats et c’était difficile de me trouver un logement qui accepterait tous les deux. Les gens me disaient « t’as juste à te débarrasser d’un de tes chats, c’est simple! ». Mais moi je ne voulais pas, je voulais garder mes deux chats, je les avais depuis si longtemps, c’étaient des soeurs! Et c’est avec SOLIDES que j’ai eu la chance de le faire. Je pouvais avoir un logement abordable et garder mes chats.

Je trouve difficile de vivre seule. Avoir une routine Je continue de m’impliquer dans la communauté.  De militer pour les droits aux logements sociaux et abordables. Pour briser l’isolement, je fais partie des « Amis d’Émiles » de l’organisme « Les Toits d'Émile » où je participe à plusieurs activités avec d’autres gens comme moi, affectés par la maladie mentale. C’est avec eux que j’ai fait les peintures que tu vois autour.»

- Ce sont tes peintures?

Elle sourit. Nous nous levons pour prendre des photos et Nancy me montre ses œuvres et le contexte de chacune. Beaucoup d’art thérapie, ou tout simplement des activités sociales. Nancy vibre en me parlant de ses peintures. On voit tout le bien qu’elles lui font. Et ça fait évidemment de magnifiques photos. 

Nous terminons ainsi notre rencontre. Je la remercie chaleureusement de sa générosité, de sa chaleur, de sa confiance. Et des jolies images peintes qui m’accompagneront dans ma tête sur le chemin du retour.

Texte et photos par Patrick Lemay

Naomie Marleau