Marc Gallant

« Je suis un enfant de la grande noirceur. Et j’ai grandi avec la révolution tranquille. J’ai vécu la transition. Je suis passé de la Procession de la Fête-Dieu…à la consommation d’acide! »

M. Gallant a la voix rocailleuse de celui qui a vécu le trouble, et les yeux moqueurs de celui qui l’a parfois cherché…Il m'accueille dans son chaleureux logement de chez SOLIDES. De la musique Jazz joue doucement, la lumière est tamisée, nous nous installons à la petite table où nous jaserons et boirons du thé pendant plus d’une heure dans cette ambiance de bistro.

« Les Frères m’ont demandé de m’en aller de l’école. J’étais très réfractaire à l’éducation religieuse. Il y avait quelques profs plus laïques, qui avaient du cran. Mais ce n’était pas la norme. De toute façon, à cette époque, j’aimais mieux aller travailler pour m’acheter une moto! C’était un peu le pattern ; je viens de Pointe St-Charles, un quartier ouvrier avec beaucoup de pauvreté, quelques riches qui allaient à Brébeuf, mais pas de classe moyenne.

Au début de la colonie, La Pointe, comme on l’appelait, était le bassin naissant de la Révolution industrielle. C’est pour ça qu’ils ont fait le Canal Lachine. Et encore dans ma jeunesse, il y avait beaucoup d’industries. La Northern Electric, des fonderies, des sucreries, les shops du CN. On appelait ça « La Grisaille ». Un peu comme l’image qu’on se fait de Liverpool.

C’était un quartier divisé par la track : avec les Irlandais d’un bord et les francophones de l’autre. Et on ne se mélangeait pas. Les deux groupes avaient le même background socio-économique, mais le mur de la langue était impénétrable. Les tensions étaient non dites chez les adultes, mais quand même palpables. Chez les jeunes il y avait des bagarres, ça allait de soi. Même après, dans l’adolescence, en grandissant dans le militantisme, il n’y avait pas de mélange. La gauche anglophone était…canadienne. On ne s’y retrouvait pas, en tant que nationalistes québécois.

Il y avait beaucoup de jobs, mais c’étaient des jobs de misère. Décharger des poches de 80 lbs dans les fonderies, travailler sur les trains. Tu sais, du travail d’industrie, de l’étampage de carton, de la suie, pour 80 cennes de l'heure. Les syndicats n’étaient pas encore rentrés. Moi je n’avais pas la shape pour faire ces jobs-là. J’ai fait un peu de travail manutentionnaire. J’ai travaillé au Steinberg. J’ai même fait du job de bureau…courtier en douane, custom border…c’était épouvantable. J’allais travailler avec la mort dans l’âme. Mais mon trip c’était la moto, j’adorais ça. Une fois, je me rappelle, je travaillais au Steinberg et j’allais dîner chez moi. Quand ça été l’heure de retourner travailler, je suis passé devant, et j’ai décidé de continuer. Il faisait trop beau pour arrêter! C’était ça l’époque aussi. Et comme on disait, tu lâches un job, t’en as une autre le lendemain! »

Et puis au travers de tout ça, il y avait tout ce qui se passait dans le monde! Mai ’68 et la répression, dès que tu voulais faire quelque chose de communautaire, tu étais classé communiste! Il y avait la crise d’Octobre qui se tramait, il y avait toute une génération qui voulait autre chose.

Ensuite de ça, il y a eu des projets PIL « Projets d’initiatives locales » lancés par le fédéral. Puis avec ça on a démarré un atelier de sculpteurs! On était une douzaine de sculpteurs anarchistes! Ça, ça a été la période la plus flyée que j’ai vécue. On était des chums, mais y’avait des gens de l’extérieur aussi. Plus tu rencontres de gens, plus t’apprends, plus t’as d’ouverture, et plus ton monde s'agrandit. Malheureusement, il ne reste pas grand-chose de cette époque. Il y a peut-être quelques photos, mais…

Dans la même période, moi et deux de mes copains on travaillait dans la disco la plus pétée de Montréal à l’époque, ça s’appelait le Tarot. C’était dans un sous-sol, tenu par le milieu criminel, la Gaffe, comme on l’appelait. C’était dans le quartier de la fourrure. Les gens qui fréquentaient ce bar, c’étaient des personnages. C’était l’époque. Parce qu’après la crise d’Octobre, tout le monde trippait. Dans tous les quartiers. Le monde était en colère. Ils avaient agressé toute la jeunesse, toute notre génération. Avec la matraque et tout. Alors ils ont perdu le contrôle. Tu ne peux pas contrôler une génération Les curés n’étaient plus là. Et démographiquement, on était hyper nombreux! Ils ne pouvaient plus juste fermer le rideau et espérer que ça passe.

Il y avait aussi les voyages : les gens se déplaçaient beaucoup plus, on voyait ce qui se passait ailleurs, et les médias, les communications! Avant il n’y en avait pas de communications! Je me rappelle des curés et des Frères, leur attitude c’était « vous n’avez pas besoin de savoir ».  Ceux qui allaient savoir quelque chose, c’étaient ceux qui allaient à Brébeuf, la nouvelle élite. Le reste, on était de la chair à canon! 

En ‘72, quand l’atelier de sculpture a fini, on s’est dispersé. J’ai fait des p’tits jobs, du genre livreur à Lachine. Puis, j’ai rencontré la mère de ma fille et on est parti à la campagne! On était toute une gang de chums qui habitaient pas loin l’un de l’autre. C’était comme un retour aux sources, même si pour nous, la source, c’était le canal Lachine. À ce moment, je faisais des jobs d’électricité, j’avais un chum électricien et je suis devenu apprenti. Plus tard, on s’est parti une marina en coopérative. On avait une petite flotte de dériveurs. J’ai toujours adoré les bateaux, depuis que j’ai été dans les cadets de la marine à l’âge de 14 ans. 

Après quelques années, dans le début des années ‘80 on est revenu à Montréal, la mère de ma fille travaillait à l’Université de Montréal et elle devait faire plus de 100 km par jour. De mon côté, j’avais trouvé un job à l'hôpital psychiatrique Douglas à Verdun, dans l’entretien ménager. J’y ai passé vingt ans de ma vie! »

Il est difficile de résumer 70 ans de vie en deux pages. La 2e vie de M. Gallant, après avoir quitté Douglas, a été de travailler dans une shop de bateau, sa passion, qu’il a dû quitter après deux ans parce qu’il a développé une allergie à l'époxy. Il a trouvé SOLIDES en faisant des petits jobs pour eux. Et il y est emménagé après sa séparation, il y a de ça une dizaine d’années. Il m’a parlé d’un road trip en Gaspésie qu’il a fait cet été, qui s’est soldé par un retour d’urgence en avion. De sa fille de 42 ans qui conduit une moto. De ses petits-enfants. C’est difficile de faire des choix et de décider ce qui sera écrit. Qui suis-je pour prendre ces décisions? Cette heure de discussion, qui aurait pu durer beaucoup plus longtemps, a été un cours intensif d’un pan important de l’histoire de Montréal et du Québec. Je suis très reconnaissant envers M. Gallant de me l’avoir donné.

Naomie Marleau