Michèle Morin

Quand on entre chez Michèle Morin, on sait tout de suite que c’est le foyer d’une artiste. Des tableaux et des sculptures sont accrochés sur tous les murs ou appuyés sur les meubles. Deux chevalets sont rangés dans un coin. Avant de commencer l’entrevue, madame Morin m’offre le café. Elle se dirige vers un moulin à café manuel fixé au comptoir de cuisine et se met à moudre les grains en tournant la manivelle.

« J’ai ce moulin depuis 50 ans. Ça m’entretient les muscles et c’est tellement meilleur. En plus ça sent bon dans la maison et c’est un beau son. On n’entend pas le petit bruit désagréable des moulins électriques.


J’ai terminé mon baccalauréat en arts plastiques à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) en 1992, un baccalauréat général. Tout m’intéressait, la sculpture comme le dessin; je suis assez multidisciplinaire comme artiste. J’avais 42 ans quand j’ai fini mon baccalauréat. J’ai toujours eu envie de faire des arts mais je n’y allais pas parce ce n’est pas évident de gagner sa vie avec ça. D’abord, j’ai étudié en technique de loisirs au cégep de Rivière-du-Loup. La moitié de nos cours étaient en arts, ils nous envoyaient partout. C’est comme ça que ça a commencé pour moi et les arts. J’avais des bons profs. »



-Vous avez étudié au cégep de Rivière-du-Loup parce que vous venez de ce coin-là?


« Non, pas du tout, je viens de la Beauce. Je suis née dans le sucre d’érable, un vrai jarret noir. Je suis l’ainée d’une famille de sept. J’avais toujours eu l’impression d’avoir élevé une famille jusqu’à ce que je parte au cégep à 17 ans. 



C’est drôle comment c’est arrivé. Mon père était agent de douanes. J’avais fini ma dixième année, je ne savais pas ce que j’allais faire et je n’avais pas fait de demande nulle part. Puis des gens du cégep de Rivière-du-Loup sont passés aux douanes et ont parlé de ce cours là à mon père. Je me suis inscrite et ils m’ont prise. J’ai beaucoup aimé ça, c’était enrichissant, c’est une belle période de ma vie. J’étais très occupée, 40 heures de cours par semaine en plus du parascolaire.



Après, j’ai travaillé sur une base de plein air au Lac Beauport, puis je suis allée travailler à Sherbrooke. J’avais une consœur qui vivait là. J’ai travaillé au cégep comme animatrice socio-culturelle pendant quatre ans. Je suis partie parce que je m’étais épuisée. J’aime travailler mais là j’avais trop travaillé. J’ai beaucoup aimé ça Sherbrooke. Puis j’ai fait beaucoup de photos, c’est un médium que j’affectionne particulièrement. J’ai aussi fait des ateliers d’arts à l’UQAM avec des modèles vivants.


Ensuite, j’ai étudié en anthropologie pendant deux ans puis j’ai fait le baccalauréat en arts plastiques à l’UQAM de 1989 à 1992. C’étaient de bons profs à l’UQAM. C’est une bonne université l’UQAM, même si les profs étaient souvent en grève, les cours d’arts étaient excellents. 



Pendant ces années-là, de 1980 jusqu’à 1995, j’habitais sur le Plateau Mont-Royal. J’ai travaillé le cuir avec des artisans de Québec : L’atelier la pomme. J’ai aussi fait de petites expositions. Ça a été mon entrée dans le milieu, où j’ai trouvé ma place. En arts, je suis sur mon X. Après ça, je suis partie à mon compte de 1995 à 2010. J’ai fait une invention : une courroie en cuir pour les guitares qui reposait le poids également sur les deux épaules. J’ai appelé ça la courroie Y. J’ai vendu ça dans des magasins mais j’ai surtout fait les salons des métiers d’arts. Québec, Montréal et Toronto pendant trois mois à chaque année, c’était beaucoup de temps et beaucoup de travail. Mais c’était là que je faisais mon année. Je vendais beaucoup dans les salons et plusieurs clients prenaient mes coordonnées là aussi. Je vendais aussi par internet à des musiciens d’Europe et des États-Unis. Je travaillais à la production de la maison et j’avais une employée à temps partiel. J’ai vécu de ça pendant 15 ans, pas très riche mais c’était correct. Après 15 ans c’était trop difficile d’en vivre et c’est comme ça que ça s’est arrêté. 



J’ai habité pendant quatre ou cinq ans dans une maison à Saint-Constant puis j’ai déménagé dans ce logement où on est en 1999. C’est une de mes chums qui avait vu l’annonce pour ce logement. Un autre logement pareil dans l’immeuble à coté était aussi à louer. Le quartier est beau, il y a beaucoup d’arbres, les gens sont gentils, c’est une belle ambiance. Des fois, les gens me saluaient sur la rue et je me demandais s’ils me prenaient pour quelqu’un d’autre. Bien non, c’est comme un village ici. Tu sais que le Chemin de Chambly c’est un des plus vieux chemins du Québec? Une de mes voisines, deux rues à coté, m’a dit que son grand-père possédait la terre qui était ici. Une partie du Vieux-Longueuil qui était une terre agricole. Derrière ici il y a un érable qui est au moins centenaire. 



C’est inquiétant ce qui se passe avec l’environnement, le réchauffement, on le voit de plus en plus. En étant née dans la nature, ce sont des choses que je vois. Quand j’étais enfant nous péchions des truites dans les ruisseaux. Des truites mouchetées grosses de même :18 pouces, 20 pouces, ça frisait dans l’évier. Les étés, nous nous rejoignions au lac Baker sur le bord de la frontière et les cousins nous rejoignaient. C’était une belle période, nous avions beaucoup de plaisir dans le bois, sur les lacs.



Maintenant les gens sont innocents. Ils veulent changer des chevreuils de place mais ce n’est pas possible de faire ça. Aussi bien les abattre et les manger plutôt que de manger des animaux élevés dans des conditions terribles. Ils ont perdu le bon sens de base. Nous autres, nous mangions un chevreuil par année. Les tourtières étaient faites avec du chevreuil. »

On voit bien que madame Morin est attirée par la nature. Presque tous les sujets de ses œuvres sont des oiseaux et des fleurs. Une grande toile qui semble non figurative au premier regard est un gros plan du visage d’un orang-outang.

Nous aurions pu parler de la Covid, du fait de vivre seule ou de la maladie, mais clairement ce sont l’art et la vie qui intéressent madame Morin.

Naomie Marleau