Darlene Thomas

« Il est très important que les gens puissent connaître tous les aspects de notre culture afro-canadienne. De savoir d’où nous venons, nos luttes passées ainsi que ce que nous continuons de défendre. Peu de gens connaissent cette significative histoire des Noirs de la Nouvelle-Écosse.  Je me dis que si les gens ne se font pas enseigner ce pan de l’histoire canadienne, en lisant ces portraits sur Facebook, ils pourront peut-être en être plus conscients ».

 

C’est dans son chaleureux et lumineux logement situé à Châteauguay que madame Darlene Thomas nous accueille. Un logement qu’elle partage avec sa fille.

 

« J’aime beaucoup mon logement. Il est situé sur le coin de la rue. Donc j’ai des fenêtres qui me permettent de tout voir : la pleine lune, les couchers de soleil, l’autre bout de cette rue où ma mère habite avec ma sœur. Il y a beaucoup de lumière. J’adore habiter ici ».

 

Les yeux inondés du soleil de cet après-midi-là, madame Thomas survole son histoire familiale : « Ma famille vient d’Halifax, en Nouvelle-Écosse. Mon arrière-grand-mère, ma grand-mère et ma mère y sont nées. Tout comme mon père ainsi que mes deux frères. Nos origines sont de l’État du Maine, aux États-Unis. Mes ancêtres ont emprunté l’« Underground Railroad » (Chemin de fer clandestin) pour venir s’installer au Canada. Je suis donc de la quatrième génération de ma lignée familiale ».

 

Rappelons qu’avant le milieu du 19e siècle, l’État du Maine était l’une des dernières étapes du « Chemin de fer clandestin ». Parsemé de routes cachées, de tunnels, de refuges et de messages codés, ce chemin a permis à près de 40,000 noir·e·s esclavagé·e·s de poursuivre leur fuite vers le Canada, grâce à la solidarité d’un réseau secret d’habitants abolitionnistes. 

 

Dès leur arrivée, ces premières personnes afro-canadiennes cultivent la terre et construisent des maisons pour y élever leurs familles, tout en luttant activement contre la ségrégation, la discrimination et les préjugés auxquels elles sont confrontées quotidiennement. Également, elles fondent notamment des écoles, des journaux, des églises, des organisations sociales et culturelles. 

 

Dans la lignée familiale de madame Thomas, sa grand-tante : une certaine Viola Desmond, devenue, en 2018, la première femme canadienne à apparaître sur un billet de 10 dollars en circulation courante. Expulsée du Roseland Theater de New Glasgow, en 1946, pour s’être assise dans une section réservée aux personnes blanches et à avoir refusé de changer de place, madame Desmond fut également accusée d’évasion fiscale pour avoir omis de payer le montant d’un sou, équivalant à la taxe sur le billet d’entrée de ce théâtre. Cette femme d’affaires dans le secteur des cosmétiques pour les femmes à la peau brune décide de contester sa condamnation en dénonçant cette injustice jusqu’à la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse. Bien qu’elle finit par perdre sa cause en appel, son acte de résistance mobilise la communauté noire de la Nouvelle-Écosse et inspire le mouvement des droits de la personne à l’échelle canadienne. 

 

« Je sais qu’elle est décédée à un jeune âge (50 ans). Je n’étais pas encore née. Mais une chose est certaine, ma famille garde en mémoire son histoire. Nous avons tous un billet de 10 dollars sur nos murs maintenant (rire). J’étais tellement excitée à la parution de ce billet de banque, que je l’ai publié sur Facebook. Il fut un moment où les gens venaient me voir dans le centre commercial où je travaillais pour m’en parler ou m’amener des articles sur ma grand-tante. J’en suis très heureuse, très fière même ».

 

C’est avec le même sentiment de fierté que Madame Thomas évoque son père, décédé en 2018 : « Mon père, Eldon Thomas, a longtemps fait partie du groupe musical The Raindrops, ayant été honoré par le Black Cultural Association and African Nova Scotian Music Association. Mais une fois qu’il a eu fini de chanter, ma mère lui a dit qu’il était maintenant temps de subvenir aux besoins de sa famille (rire). Ils ont déménagé à Montréal, où je suis née. Mon père a ensuite travaillé pour Via Rail, pendant plus de 30 ans.

 

De mon côté, je suis venue vivre dans ce logement il y a maintenant 15 ans, alors que ma fille n’était âgée que de 3 ans. Je cherchais un logement qui était situé non loin de celui que ma mère partage avec ma sœur.  Je crois que SOLIDES en est devenu propriétaire il y a peut-être 5 ou 6 ans. 

 

Je m’entends bien avec tous mes voisins dans l’immeuble. Le quartier est vraiment bien aussi. Je connais bien la communauté aussi car je travaille au centre commercial de Châteauguay depuis 15 ans. En effet, j’ai travaillé dans ses boutiques de bijoux, de t-shirts, de robes, de lingerie ainsi que de chaussures de toutes les gammes. Je pense que j’ai travaillé dans toutes les boutiques (rire). Mais en raison de la COVID, beaucoup de boutiques ont fermé leurs portes. Le centre commercial est presque toujours vide. C’est triste à voir.

 

J’avoue que ce n’est pas facile de rester à la maison à se tourner les pouces. Mais au moins, ça me permet de rendre visite à ma mère plus régulièrement, pour prendre soin d’elle et de m’assurer qu’elle aille bien. Et je peux vous assurer qu’elle va très bien. Ma mère, ça a toujours été le pilier de la famille. Une vraie matriarche!

 

Je m’estime chanceuse que plusieurs membres de famille vivent à Châteauguay, non loin les uns des autres. J’ai également une sœur jumelle, dont le fils, Sheray Thomas, a joué au basketball professionnel et participé aux Jeux Olympiques. J’ai également une nièce, elle-même devenue mère de jumeaux, qui vit non loin d’ici ».

 

De cet héritage riche et durable qu’elle porte en elle, madame Thomas a de quoi s’en sentir fière : « De tous mes accomplissements, celui d’avoir élevé ma fille seule me rend le plus fière. Elle est intelligente et a toujours été parmi les meilleures de sa classe à l’école. Aussi, je suis très reconnaissante de vivre dans cette communauté. Je dois être une bonne personne, car j’ai les mêmes amis depuis 30 ou 40 ans. 

Je vais en Nouvelle-Écosse de temps en temps, car j’ai une sœur qui vit encore là-bas ». 

Texte et photos par Kesnamelly Neff

Naomie Marleau