Elisabeth Labbe

« Je fais ça vraiment pour leur faire plaisir, à SOLIDES. Moi, prendre des photos, je n’aime pas trop! »

La phrase est dite avec un sourire en coin, la voix moqueuse. Mme Labbe (ne pas prononcer Labbé :,« Je n’ai pas eu d'ordination encore » m'a-t-elle corrigé en riant, lorsque j’ai fait l’erreur) se prête néanmoins au jeu et elle me permet de la photographier pendant que nous parlons. Je ne sais pas si la prise de photos est devenue plus facile avec les minutes qui passent, mais elle ne semble pas s’en incommoder.

Nous sommes à l’extérieur de son logement à Châteauguay. D’abord assis à la table de pique-nique, nous avons bougé vers le banc juste à côté, l’arrière-plan était mieux pour les photos.

« J’ai travaillé à la commission scolaire toute ma vie. J’ai commencé dans le début des années ‘80 à l’éducation des adultes. D’abord comme secrétaire, puis comme agente de bureau. L’agente de bureau, c’est celle qui fait toutes les tâches administratives que les secrétaires ne font pas. Donc, le « toutes autres tâches connexes », et y’en a énormément de ça! Je m’occupais de tout ce qui était en fonction des élèves. De la création des dossiers d’inscription jusqu’à la transmission des notes au ministère et compagnie! Puis j’ai changé d’école il y a une quinzaine d’années, toujours à l’éducation des adultes, mais c’était devenu un centre de raccrocheurs. La clientèle était très différente, plus de problèmes de motivation, de nombreuses problématiques et conditions, comme des TDAH et des personnes autistes. Disons que les approches ne sont pas les mêmes. 

À la fin, c’était rendu du sport, je m’occupais de la salle d’examen. La façon dont ça fonctionnait aux adultes était que chacun avait son horaire personnalisé, parce que tout le monde allait à son rythme. Mais il y avait, par exemple, des classes de mathématiques, de français etc., et le professeur devait répondre aux questions de tous les niveaux. Quand ils avaient fini leurs modules, on leur faisait passer des pré-tests et quand ils étaient prêts, ils passaient l’examen. Moi je m'occupais donc de superviser les salles d’examens. Les étudiants m’appelaient “La madame aux examens”. Donc l’étudiant arrivait, je regardais sur ma liste, je voyais, par exemple, qu’il devait faire son examen de maths. Je lui donnais ce dont il avait besoin. Une fois que tout le monde était installé, les examens pouvaient commencer. Mais ça ne s’arrêtait pas là. En plus de m’assurer qu’ils ne trichaient pas, j’étais celle qui les rassurait quand ils étaient stressés, j’étais celle à qui ils posent des questions aussi. Quand je pouvais, ça allait, j’aidais, mais parfois, ça dépassait mes compétences et il est arrivé que je doive appeler le prof de l’étudiant.

Mme Labbe parle de ses élèves avec un mélange d’exaspération et d’attachement. Je la vois perdue dans ses souvenirs.

« Au début, c’étaient plus des adultes qui voulaient finir leur secondaire pour, par exemple, avoir des promotions ou changer de métier. Ils prenaient ça très très au sérieux. Ils étaient excessivement nerveux aux examens. Certains pleuraient. Je devais les rassurer, leur dire que ce n’était pas si grave et qu’au pire, ils pourraient reprendre le test. Vers la fin, c’était autre chose ; c’était devenu un centre de raccrochage scolaire et la clientèle avait beaucoup changé, avec les cas particuliers, et certains étudiants qui s’en foutaient plus. Je trouvais ça plus difficile. D’autant plus que je devais soulever des objets lourds. »

Ses yeux se fixent dans le vide, le sourire en coin, elle s’est fait penser à une anecdote:

« Une jeune fille à un moment donné m’a appelée à son bureau pour me poser une question pour son examen de français. Je me suis approchée et je me suis penchée sur son bureau pour pouvoir lire la question. Un élancement m’a étiré le dos et je n’ai pas le choix de faire part de ma douleur à l’étudiante. Elle me dit, avec le plus grand sérieux « Je comprends, madame, mon texte porte sur les centenaires...» J’ai tellement ri que j’ai écrit l’anecdote dans le journal (dont je m’occupais aussi) qui était adressé aux profs.»

Je ne cache pas mon étonnement.  « Vous vous occupiez aussi du journal? »

- Oui, c’était une petite publication qui s’appelait Le Myosotis. C’était le directeur qui avait eu l’idée d’appeler ça comme ça. Personne n'a jamais vraiment compris pourquoi.

- Donc les inscriptions, la salle d’examen dans laquelle vous faites, parfois le prof, parfois l’éducatrice spécialisée, le journal, toutes les notes à envoyer au ministère…et vous me disiez plus tôt que le salaire n’était pas si…

- À la fin, après plus de 35 ans de métier, je gagnais 21$ et quelques l’heure.

Je suis un peu abasourdi. Et en même temps, sachant que les métiers occupés majoritairement par des femmes sont tout le temps sous-payés...

- J’ai pris ma retraite anticipée, j’ai eu des problèmes de santé et je n’en pouvais plus.

Elle me raconte comment elle est entrée en contact avec SOLIDES.

« J’habitais dans un autre logement à caractère communautaire. Mais après quelques années, j’ai dû quitter parce qu'il y avait des travaux urgents à faire. Je suis entrée en contact avec SOLIDES et ils m’ont trouvé un logement très rapidement. Au début, je ne devais y rester que quelques mois, le temps que les rénovations de mon autre logement soient complétées. SOLIDES me permettait de louer à la semaine pour me dépanner. Je les ai trouvés très très accommodants! Puis ils m’ont dit que si je voulais, je pouvais rester indéfiniment. J’étais surprise d’entrer dans leurs critères, vu que c’étaient des logements communautaires. Alors j’ai décidé de faire le pas, l’autre immeuble était un peu laissé à lui-même alors que ceux de SOLIDES sont très bien entretenus. »

Il fait noir, je ne peux plus vraiment prendre de photos. Mme Labbe finit son récit. J’espère ne pas trop l’avoir importuné avec ma lentille, et elle m’assure que non. Je la remercie de m’avoir partagé un chapitre de son histoire. Et je rentre chez moi, la tête pleine de mots et d’images.

Texte et photos par Patrick Lemay

Naomie Marleau