Pierre Lauzon

Dès que je l’ai vu alors qu’il m’attendait sur le bord de la rue, je me suis dit « je suis bon pour une méchante ride ». La posture droite, le journal Le Devoir sous le bras, le sourire en coin. Faut dire que j’étais arrivé en retard parce que j’avais manqué ma sortie pour Châteauguay. Et il avait cette attitude relaxe qui disait « c’est ok, garçon, stresse-toi pas avec ça ». Même si j’étais, en effet, un peu stressé.

M. Lauzon, Pierre, qu’il m’a demandé de l’appeler, un homme à la retraite, donc je vous laisse calculer son âge, a accepté de me parler de lui. La prose vive, le regard hyper allumé, une minute avec lui nous convainc qu’il a le cerveau qui spinne plus rapidement qu’une perceuse. Résident des logements sociaux de SOLIDES, amateur d’ornithologie, scientifique d’âme et de carrière. Ces quelques lignes ne réussiront sans doute pas à dépeindre toute la richesse de son parcours, mais je vais essayer.

« En partant, je peux te dire que les deux axes de ma vie ont été la science et le communautaire.

J’ai lâché l’école, je devais être en 9-10ème année.  Et tout de suite, j’ai été militant de gauche.  Droit du logement, anticapitaliste, je passais des tracts devant les usines, je participais à des comités de citoyens.  Ce genre de choses.

Mais pendant tout ce temps, je n’ai jamais arrêté de lire.  J’étais extrêmement curieux; de la philosophie, de la vulgarisation scientifique.  L’apprentissage a fait partie de ma vie.  Mais je voulais plus.  Dans ce temps-là, le gouvernement était très généreux pour ceux qui voulaient se former.  J’ai donc pu retourner finir mon secondaire à l’âge adulte et bénéficier de l'assurance-chômage (comme ça s’appelait dans le temps). 

Une fois que j’ai eu fini, je me suis dit : pourquoi arrêter là? J’ai donc fait une technique qui s’appelait Chimie et Biologie industrielle.  J’ai toujours eu un penchant pour la nature, autant comme on l’entend plus vulgairement : les arbres, les p’tits oiseaux, les animaux, mais aussi plus spécifiquement, les chromosomes pis toute. J’adore ça! Et j’apprenais, par la même occasion, que le Cégep Ahuntsic était très bien pour les sciences. 

À la fin de mon Cégep, je me suis dit, encore une fois : je ne m’arrête pas là! Donc, je me suis inscrit en biologie à l’UQAM et je me suis orienté en écologie forestière, botanique, mais aussi animale.  Et à la fin de mon BAC, je me suis dit… (avec un rire) : pourquoi arrêter ça là!

 J’ai fait une maîtrise en écologie qui menait au doctorat.  Entretemps, j’ai rencontré celle qui allait devenir ma future épouse et éventuellement, un bébé s’est pointé.

Lorsque le sujet du doctorat est arrivé, j’ai eu un questionnement.  Tu sais, il y a l’idée romantique du doctorat ; la recherche, l’impact etc., et il y a une vraie patente.  Un doctorat, c’est principalement de trouver des fonds, écrire des articles, défendre son laboratoire ou sa gang. C’est d’être pogné dans un bureau trois fois grand comme le banc de parc où on est assis, et ne plus être sur le terrain.  Et avec le bébé qui s’en venait, j’ai décidé qu’il était temps d’aller travailler. »

Les mains de M. Lauzon sont hyperactives quand il parle. Ses yeux, alors qu’il se remémore les grandes lignes de sa vie, flashent plus qu’un spot sur le 220V.

Il continue.

« Ma maîtrise était finie, il ne me restait qu’à terminer mon mémoire.  J’avais trouvé un travail dans un centre de crises.  C’étaient des centres qui accompagnaient et hébergeaient des personnes psychiatrisées qui vivaient des crises dans le but de désengorger les urgences. (comme quoi, même dans les années ‘80, les problèmes étaient sensiblement les mêmes qu’aujourd’hui!). Lors de l’entrevue, nous étions un groupe autour d’une table, j’étais le seul qui ne venait pas du milieu de la psychologie. Mais j’ai dû avoir quelques bonnes réponses, car j’ai été embauché comme “Dormeur”, ils les appelaient ainsi. Ça voulait juste dire que j’étais sur le quart de nuit. Un titre tranquille pour un travail qui ne l’était pas tant que ça. Je me suis dit « parfait, travailler de nuit me permettra aussi de terminer ma thèse! ».

Mais ma curiosité était immense. La place était pleine de documentation, d’articles, de livres sur la psychologie, sur les techniques d’intervention et les crises, de prendre en compte la famille, faire de l’intervention dans la rue etc. J’ai lu et photocopié des milliers et des milliers de documents. Je n’en avais jamais assez. Tellement que j’avais commencé, en plus de m’occuper des résidents qui se levaient parfois la nuit, à donner des services au téléphone. Mon patron avait fini par me faire assister aux réunions des intervenants de jour. Il semblerait que j’avais fait bonne impression, parce que quand je lui avais demandé si je pouvais avoir une charge de travail comme celle des autres, il m’avait dit « je me demandais quand tu allais m’en parler! ». J’avais donc obtenu mon propre territoire, je couvrais l’Ouest de la Ville.

Par la suite, j’avais fini par finir ma maîtrise et j’avais décroché une job dans mon domaine au ministère des Affaires Indiennes et du Nord Canada. Le gouvernement venait d’être obligé par la Cour d’avoir une loi qui régisse les projets ayant potentiellement un impact sur l’environnement.  Et comme les fonctionnaires ne connaissaient strictement rien à l’environnement (et que la loi avait des conséquences directes sur le gestionnaire s’il ne l’appliquait pas) ils se sont mis à embaucher des personnes avec des connaissances en environnement. J’y ai passé 20 ans de ma vie!

Finalement, j’ai décidé de revenir dans le coin de Châteauguay parce que mon frère y habite, et c’est là que j’ai découvert SOLIDES. J’ai réussi à avoir un magnifique appartement : parce que chaque fois qu’une personne quitte un logement, SOLIDES le rénove complètement. C’est très propre comme place, et à un prix très très raisonnable. Rapidement, j’ai réalisé ce que c’est, SOLIDES : une organisation à but non-lucratif, du logement communautaire, etc. On y trouve une belle diversité, ethnique oui, mais aussi culturelle et socio-économique. J’aime beaucoup ce que j’y vois. Mon désir d’implication communautaire est revenu à la charge. Après un p’tit bout de temps, j’ai pu y mettre ma contribution et siéger, pendant un bon moment, au conseil d’administration. »

Pierre me parle de SOLIDES avec beaucoup d’attachement. Il a quitté son logement de l’organisme pendant un moment pour vivre à Montréal, mais il a décidé d’y revenir, parce que ça répondait davantage à ses besoins. Il pense éventuellement s’impliquer de nouveau dans le conseil d’administration, si c’est possible. On sent que SOLIDES et lui partagent les mêmes valeurs de donner au suivant, d’aider ceux qui en ont besoin.

Bref, de faire une différence.

Texte et photos par Patrick Lemay

Naomie Marleau