Amanda Debra Haynes

[English below] 

« Je vais très bien. J’ai toutes les raisons d’être reconnaissante, car c’est une belle journée et que j’ai eu le privilège de me réveiller ce matin. Que je passe un bon ou un mauvais moment, je ressens de la gratitude, du matin jusqu’au soir ». 

C’est dans son logement coloré, bardé de photos et de souvenirs que nous accueille Amanda Debra Haynes. « Chez SOLIDES, ils m’appellent Mademoiselle Haynes. Mais tu peux m’appeler Debbie. Quand on m’a contactée pour me demander si j’acceptais qu’on réalise mon portrait, j’ai répondu que je n’avais aucun problème avec ça. Si je peux aider, je le fais ».

L’année de son arrivée au Canada reste gravée dans sa mémoire. « Même si je ne me souviens pas de la date exacte, je sais que c’était environ une semaine avant la mort de Lady Diana. Je m’en souviendrai toujours ». 

C’est donc en 1997 qu’elle quitte son pays d’origine pour venir s’installer ici. « Mon ex-mari et moi avons d’abord vécu à Montréal. Lorsque notre relation a pris fin, je suis venue m’installer à Châteauguay, dans ce même logement que j’habite depuis 2014 avec ma fille ». 

Madame Haynes est originaire de Saint-Vincent-et-les-Grenadines. Pays des Caraïbes composé de plusieurs îles - dont la principale est Saint-Vincent -, il est situé au sud de Sainte-Lucie et à l’ouest de la Barbade. 

 « J’ai quitté Saint-Vincent pour les mêmes raisons que l’on quitte son pays : pour me créer une vie meilleure, pour aller saisir les opportunités qui pouvaient m’être offertes ailleurs. Il fut une époque où existaient, dans mon pays, bon nombre d’industries manufacturières, ayant principalement comme propriétaires des Américains et des Canadiens. Mais elles ont toutes fini par fermer. D’ailleurs, mon ancien patron était originaire de Vancouver. Je travaillais pour une compagnie nommée Buehler’s Yacht, dans une usine qui confectionnait des fibres de verre pour les bateaux. Un jour, il a vendu l’usine et a quitté le pays. Ensuite, tout a commencé à s’effondrer. 

 

C’est à cette période que ma tante du Canada, alors en visite à Saint-Vincent, m’a dit : « Si tu as les moyens de t’acheter un billet d’avion, pourquoi tu n’essaierais pas de venir t’installer au Canada? ».  Elle avait raison, car à cette époque, on avait besoin que d’un billet d’avion. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus compliqué pour immigrer ici. Même comme simple touriste, un visa est maintenant exigé.

J’avais fait une promesse à ma grand-mère, décédée quelques années auparavant, et à mon grand-père : celle de ne jamais les quitter. Cette promesse, je l’ai tenue. Ce n’est que trois ans après le décès de mon grand-père que j’ai quitté Saint-Vincent pour le Canada. 

J’ai quand même eu tout un choc et ce, dès les premiers jours qui ont suivi mon arrivée à Montréal. Je me rappelle être sortie pour prendre une marche durant laquelle je saluais tous les gens que je croisais. À mon retour, j’ai demandé à ma sœur, qui vivait déjà ici, la raison pour laquelle les gens ne me répondaient pas. C’est alors qu’elle m’a fait comprendre que peut-être qu’ils me croyaient folle (rire). Et quand l’hiver est arrivé, j’étais tellement décontenancée que j’ai même envisagé de retourner à Saint-Vincent. Mais ma sœur ainsi que d’autres membres de mon entourage m’ont encouragée à rester. Ils ont eu raison de me convaincre car je me suis rapidement trouvé du travail. C’était à l’époque aussi où tu pouvais quitter un job le jour-même pour en trouver un autre le lendemain. Je réalise maintenant que la vie était beaucoup plus simple durant ces années-là. Le coût de la vie a tellement augmenté depuis. 

L’ironie de la chose est qu’aujourd’hui je préfère l’hiver à l’été, parce que je respire mieux. J’adore aller prendre des marches, même quand il fait très froid. L’été, en raison de la pollution des véhicules, je préfère rester à la maison. 

Dans les Caraïbes, rares sont ceux qui ont la possibilité d’aller loin dans leurs études.  Au Canada, il y a non seulement la possibilité d’aller aux études, mais de devenir quelqu’un. Pour ma part, je suis allée à l’éducation aux adultes pendant deux ans. Tous les soirs de la semaine. Tu sais ce que ça représente, aller aux études jusqu’à 9 heures le soir après une journée de travail de 8h30 à 18h00? Mais je l’ai fait. Parce que j’ai saisi cette opportunité-là. Le Canada a beaucoup à offrir. Si tu y mets ton esprit et ton énergie, bien sûr. »

Cette opportunité saisie l’a menée à exercer ses deux passions : travailler auprès des enfants et cuisiner. 


« Je suis une éducatrice en service de garde à Montréal. Les bébés et les enfants me rendent heureuse toute la journée. Chacune de mes journées! Parfois, il m’arrive d’avoir un peu le moral à plat et, tout d’un coup, le moindre petit sourire qu’ils me font remet du soleil dans ma journée. Il faut que tu te souviennes de cela : chaque enfant est différent. Je suis fascinée par leur émerveillement. J’apprends beaucoup d’eux. 

Mon autre passion, c’est la cuisine. Parmi mes spécialités : le pain sucré (sugar bread), le pudding à la noix de coco (coconut pudding) et le poulet à la jerk (jerk chicken). Je cuisine pour des gens, surtout durant le temps des Fêtes. Avant, je donnais tout ce que je cuisinais. Parce que je suis comme ça, j’aime donner. Si mon prochain a besoin de la dernière chose que je possède, je la lui donne.

Quand tu fais ce que tu aimes et que tu reçois de bons commentaires en retour, ça donne de l’énergie. Cuisiner me donne de l’énergie! Au fil du temps, beaucoup de gens m’ont encouragée à vendre mes plats. C’est ainsi qu’est né Debby’s Kitchen. Un concept bien simple, soit un service de plats cuisinés. Mon amie m’a aidée à prendre mes plats en photo pour les publier sur internet ». 


Plusieurs de ses projets ont vu le jour dans ce logement qu’elle occupe depuis maintenant huit ans. 

« SOLIDES est devenu propriétaire de cet immeuble il y a trois ans. Je suis quand même bien ici. L’endroit où il est situé est pratique, car l’autobus qui m’amène à mon travail situé à Montréal passe juste ici, au coin de la rue. L’épicerie n’est pas très loin non plus. Durant l’été, il m’arrive d’aller me poser, avec une couverture, sur le gazon à côté de l’école située tout près. Quant à mes voisins, ça se passe comme dans toute relation de voisinage habituelle. On se respecte et lorsque des inconvénients surviennent, on peut appeler SOLIDES, le bailleur. Habituellement, ils répondent assez rapidement. Aussi, j’aime bien Châteauguay, car deux de mes sœurs ainsi que ma tante y vivent également. 

C’est important d’avoir un chez-soi dans lequel on se sent bien. Depuis la pandémie de COVID-19, je suis attristée de voir le nombre grandissant de personnes qui se retrouvent sans domicile, en raison d’une perte d’emploi, occasionnant des fois un loyer de retard. J’essaie de les aider. Non en leur offrant de l’argent, mais quelque chose à manger ». 


Depuis son arrivée au Canada, madame Haynes n’est retournée à Saint-Vincent-et-les-Grenadines qu’à deux reprises, et non les moindres. 


« J’y suis retournée en 2012 suite au décès de ma mère et en 2019, suite au décès de mon père. C’était à l’occasion de deux situations d’urgence, de nécessité. Ma mère a eu huit enfants, donc j’ai encore des frères et sœurs qui y vivent. J’aimerais y aller plus souvent, mais les billets d’avion, pour ma fille et moi, sont très chers! Donc, je préfère envoyer diverses choses à mes sœurs là-bas. Et si ces choses ne leur conviennent pas, je leur demande d’en faire don à la communauté. 

Mais chaque matin, j’écoute et je lis les nouvelles de Saint-Vincent sur mon téléphone. Je suis l’actualité du pays en temps réel. D’ailleurs, c’est comme ça que j’ai rapidement appris l’éruption du volcan la Soufrière de Saint-Vincent de 2021, ayant forcé l’évacuation de milliers d’habitants de leur domicile. La dernière éruption de ce volcan datait de 1979. J’en ai de vagues souvenirs parce que j’étais quand même assez jeune. Elle était cependant moins dévastatrice que celle survenue l’an dernier.


J’aime mon pays. C’est là où je suis née. Je suis une citoyenne canadienne maintenant, mais ma loyauté et ma dévotion sont là-bas. C’est à Saint-Vincent que j’ai appris à distinguer la vie à la dure, de la belle vie. C’est un devoir de se souvenir de ses racines. Car tu risques de payer le prix fort si tu leur tournes le dos. 

J’aime le Canada aussi. C’est mon pays désormais. Même si la vie est parfois difficile, comme présentement, tu peux continuer de saisir les opportunités qui se présentent. Comme celle que saisit ma fille de 17 ans qui se dirige vers des études en droit à l’université. J’en suis tellement fière! ».

C’est nous qui sommes reconnaissants du privilège que vous nous avez accordé de pouvoir écouter et partager votre riche et inspirante histoire, Madame Haynes!

Texte et photos par Kesnamelly Neff  


*** 

" I am very well. I have every reason to be grateful, because it is a beautiful day and I had the privilege of waking up this morning. Whether I'm having a good time or a bad time, I feel gratitude, from morning until night.”


Amanda Debra Haynes welcomes us to her colorful home, covered with photos and memories. “At SOLIDES, they call me Miss Haynes. But you can call me Debbie. When I was contacted to ask if I would accept having my portrait taken, I replied that I had no problem with that. If I can help, I do.”

The year of her arrival in Canada remains etched in her memory. "Although I can't remember the exact date, I know it was about a week before Lady Diana died. I will always remember that."

It was therefore in 1997 that she left her country of origin to come and settle here. “My ex-husband and I first lived in Montreal. When our relationship ended, I moved to Châteauguay, in the same apartment that I have lived in since 2014 with my daughter.”

Ms. Haynes is originally from Saint Vincent and the Grenadines. A Caribbean country made up of several islands - the main one being Saint Vincent - it is located south of Saint Lucia and west of Barbados.

 “I left Saint-Vincent for the same reasons as people leave their country: to create a better life for myself, to seize the opportunities that could be offered to me elsewhere. There was a time when there were many manufacturing industries in my country, mostly owned by Americans and Canadians. But they all ended up closing. By the way, my former boss was from Vancouver. I worked for a company called Buehler's Yacht, in a factory that made fiberglass for boats. One day he sold the factory and left the country. Then everything started to fall apart.

It was during this period that my aunt from Canada, then visiting Saint-Vincent, said to me: "If you can afford a plane ticket, why don't you try to come t to settle in Canada? ". She was right, because at that time, we only needed a plane ticket. Today, it is much more complicated to immigrate here. Even as a simple tourist, a visa is now required.

I had made a promise to my grandmother, who died a few years earlier, and to my grandfather: that of never leaving them. This promise, I kept it. It was only three years after the death of my grandfather that I left Saint-Vincent for Canada.

I was still quite shocked, from the first days following my arrival in Montreal. I remember going out for a walk during which I greeted everyone I passed. When I got back, I asked my sister, who was already living here, why people weren't answering me. That's when she made me realize that maybe they thought I was crazy (laughs). And when winter came, I was so taken aback that I even considered going back to Saint-Vincent. But my sister and other members of my entourage encouraged me to stay. They were right to convince me because I quickly found a job. It was also at the time when you could leave a job the same day to find another one the next day. I now realize that life was much simpler during those years. The cost of living has gone up so much since then.

The irony is that today I prefer winter to summer, because I breathe better. I love going for walks, even when it is very cold. In the summer, due to vehicle pollution, I prefer to stay at home.

In the Caribbean, few have the opportunity to go far in their studies. In Canada, there is not only the possibility of going to school, but of becoming someone. For my part, I went to adult education for two years. Every night of the week. Do you know what it means to go to school until 9 o'clock at night after a working day from 8:30 to 18:00? But I did. Because I took that opportunity. Canada has a lot to offer. If you put your mind and energy into it, of course. »

This opportunity seized led her to exercise her two passions: working with children and cooking.

“I am a daycare educator in Montreal. Babies and children make my day. Each of my days! Sometimes I feel a little down in spirits and all of a sudden, the slightest smile they give me brightens up my day. You have to remember this: every child is different. I am fascinated by their wonder. I learn a lot from them.

My other passion is cooking. Among my specialties: sweet bread (sugar bread), coconut pudding and jerk chicken. I cook for people, especially during the holidays. Before, I gave everything I cooked. Because I am like that, I like to give. If my neighbor needs the last thing I have, I give it to him.

When you do what you love and get good feedback in return, it energizes you. Cooking gives me energy! Over time, many people encouraged me to sell my dishes. This is how Debby's Kitchen was born. A very simple concept, a service of ready meals. My friend helped me take photos of my dishes to post them on the internet.”

Several of her projects were born in this accommodation which she has occupied for eight years now.





“SOLIDS became the owner of this building three years ago. I'm still fine here. The place where it is located is convenient, because the bus that takes me to my work located in Montreal passes right here, at the corner of the street. The grocery store isn't far either. During the summer, I sometimes go and lay down, with a blanket, on the lawn next to the school located nearby. As for my neighbors, it happens as in any usual neighborly relationship. We respect each other and when inconveniences arise, we can call SOLIDES, the lessor. Usually they respond pretty quickly. Also, I really like Chateauguay, because two of my sisters and my aunt also live there.

It is important to have a home in which you feel good. Since the COVID-19 pandemic, I am saddened to see the growing number of people who find themselves homeless, due to job loss, sometimes causing late rent. I try to help them. Not by offering them money, but something to eat.”

Since her arrival in Canada, Ms. Haynes has returned to Saint Vincent and the Grenadines only twice, and not the least.

“I went back there in 2012 following the death of my mother and in 2019, following the death of my father. It was on the occasion of two emergencies, of necessity. My mother had eight children, so I still have siblings living there. I would like to go there more often, but the plane tickets for my daughter and I are very expensive! So, I favor sending various things to my sisters there. And if these things do not suit them, I ask them to donate them to the community.

 

But every morning, I listen to and read the news from Saint-Vincent on my phone. I follow the news of the country in real time. Moreover, this is how I quickly learned of the eruption of the Soufrière volcano in Saint-Vincent in 2021, having forced the evacuation of thousands of inhabitants from their homes. The last eruption of this volcano was in 1979. I have vague memories of it because I was still quite young. However, it was less devastating than the one that occurred last year.

 

I love my country. This is where I was born. I am a Canadian citizen now, but my loyalty and devotion is there. It was in Saint-Vincent that I learned to distinguish the hard life from the good life. It is a duty to remember one's roots. Because you risk paying a high price if you turn your back on them.

 

I love Canada too. This is my country now. Even if life is sometimes difficult, like right now, you can continue to seize the opportunities that present themselves. Like the one seized by my 17-year-old daughter who is heading to study law at university. I'm so proud of it! ".

 

It is we who are grateful for the privilege you have given us to be able to listen to and share your rich and inspiring story, Mrs. Haynes!

 

Text and photos by Kesnamelly Neff

Naomie Marleau